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belle et tragique, la valse mortelle de matthias sindelar 

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On l’appelait « le Mozart du football ». L’écrivain autrichien Friedrich Torberg dit de lui qu’il « jouait sans cesse et ne luttait jamais ». Sa sépulture trône à quelques mètres du prestigieux « carré des musiciens » du cimetière central de Vienne, où reposent Beethoven, Schubert, Strauss et Brahms. Mais c’est d’abord sous un autre surnom qu’il se fit connaître, celui de « l’homme de papier ». C’est le sélectionneur italien des années 1930, le double champion du monde Vittorio Pozzo, qui en parle le mieux : « grand, sec, sans relief… comme si sa mère s'était assise sur lui à peine né… mais il se transfigurait balle au pied, éliminant ses adversaires par des dribbles et des feintes pareilles au souffle du vent ».

 

Né en 1903 dans la région tchèque de Moravie, Matthias Sindelar grandit dans l’un des quartiers les plus pauvres de Vienne. Il joue au ballon dans les rues avec d’autres immigrés issues comme lui de terres voisines, historiquement non autrichiennes, désormais dans le giron de l’empire austro-hongrois. 

Son père meurt durant la Première Guerre mondiale sur le front italien. À 14 ans, Matthias devient chef de famille. Il n’a plus le choix, il doit exploiter sérieusement ce génie qui lui offre de virevolter sur un terrain sans ne jamais perdre le contrôle du ballon. Un match est organisé entre l’équipe réserve du Herta Vienne et des jeunes du quartier où vit Matthias. Ce dernier inscrit 5 buts. Recruté dans la foulée, il débute sa carrière sous les couleurs du Herta Vienne à 15 ans. Quelques années plus tard, une blessure et des problèmes financiers rencontrés par le club le font un moment craindre la fin de son rêve. Il retourne travailler en tant que serrurier… guère longtemps. Quiconque a assisté à un concerto de Matthias Sindelar ne peut l’oublier. L’un des plus prestigieux clubs d’Autriche, l’Austria Vienne, vient le chercher un an plus tard.

De 1924 et 1939, « l’homme de papier » écrira certaines des plus belles pages de l’histoire du grand Austria Vienne : 2 championnats et 6 coupes d’Autriche. En 700 matchs, il inscrit la bagatelle de 600 buts ! Dans le même temps, il s’impose comme fer de lance de l’équipe nationale d’Autriche, alors une des toutes meilleures au monde. On la surnomme la Wonderteam : « l’équipe miraculeuse ». Spectaculaire, offensive, la Wonderteam écrase tout sur son passage, notamment l’Allemagne par deux fois en 1931 et 1932 : 6-0 à Berlin, 5-0 à Vienne. L’enfant au physique malingre, issu des bas-fonds des Vienne, est sur le toit du monde… ou presque. Sur son ascension, Matthias se heurte à l’Histoire.

D’abord en 1934 : l’Autriche affronte l’Italie en demi-finale de Coupe du monde. Le match a lieu… en Italie, celle de Mussolini. Le Duce veut en faire une vitrine du fascisme. L’Autriche perd le match 1-0 après une succession de décisions arbitrales calamiteuses.

 

Puis en 1938 quand intervient l’Anschluss : l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Pour célébrer cette « union », le Reich organise un match entre les équipes des deux nations. Les consignes sont claires : les deux équipes doivent se quitter sur un match nul fraternel, qui ne vexera personne. Tout se déroule comme prévu… quand à la 78e minute, alors que le score est de 0-0, Matthias marque. Pire, il célèbre ostensiblement devant la tribune où siègent des dignitaires nazis, s’offrant même une petite danse. Adolf Hitler lui-même aurait été présent pour assister à cet affront. L’Autriche s’impose 2-0, avec une passe décisive de Matthias sur le second but.

 

À partir de ce but célébré avec défi, l’histoire de Matthias Sindelar prend un virage tragique et se confond avec le mythe. Certains y virent une simple provocation en signe de contestation contre ce match politique ; d’autres, la marque d’un combat bien plus engagé. Il faut dire que plusieurs indices abondent dans le sens de la seconde hypothèse.

Cette même année 1938, Matthias déclare au président juif de son club, interdit d’exercer par le Reich : « On m’a interdit de vous saluer. Mais je vous saluerai toujours, Monsieur ». 1938, c’est aussi l’année de la Coupe du monde en France. Pour la première fois, Autrichiens et Allemands seront réunis dans l’équipe d’Allemagne de l’Ouest. Sindelar, pour qui c’eût été le point d’orgue de sa carrière, refuse de jouer sous ces nouvelles couleurs imposées. Celles du régime nazi.

 

Lors de la guerre civile autrichienne en 1934, Matthias avait caché des Juifs pour leur éviter des persécutions. Le café qu’il a racheté à un Juif en 1938 est le seul à convier des Tziganes à y jouer. Matthias et ses sœurs sont fichés par la Gestapo comme contestataires du régime, « sympathisants des Juifs et des sociaux-démocrates ».

En 1939, Matthias et son amante Carolina, de confession juive, sont retrouvés morts dans leur appartement de Vienne. Il est question d’une intoxication au monoxyde de carbone. C’est un accident courant à l’époque. Pourtant, les journalistes qui ont eu accès au rapport d’autopsie relatent un fait saisissant : le taux de carbone dans le sang n’était pas suffisant pour entraîner la mort. Le dossier médical disparaîtra ensuite. 

 

20 000 personnes sont présentes aux funérailles de celui qui sera nommé « sportif autrichien du xxe siècle », avant de tomber un peu dans l’oubli. Ni stade à son nom ni statue à son effigie. Peut-être y a-t-il trop de flous autour de son histoire... Jusqu’où est allé l’engagement du « Mozart du football » ? Lui a-t-il coûté la vie ? Les questions demeurées en suspens ne doivent pas empêcher de raviver, conter et diffuser l’histoire de Matthias Sindelar. Celle d’un virtuose qui s’accomplit sur cet espace de liberté qu’est le terrain de football. C’est là que cet enfant des quartiers défavorisés esquiva tour à tour les déterminismes sociaux, les défenseurs les plus rugueux du monde, et les injonctions de l’Allemagne nazie.

Matthias Sindelar le mozart du football

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