alice milliat : une lutte olympique pour l’égalité des sexes
Il y a des hommes et des femmes qui font l’histoire avant d’en disparaître. Oubliés pour toujours… ou pour un temps. Parfois, il arrive en effet que l’histoire, reconnaissante, les fasse ressurgir de l’oubli.
Le 8 mars 2021, lors de la Journée internationale de la femme, le hall d’entrée du siège du Comité olympique français dévoilait une statue haute de presque 3 mètres. Jusqu’à maintenant, seule la statue du mythique fondateur des JO moderne, Pierre de Coubertin, y trônait en maître. Cette nouvelle statue est à l’effigie d’une femme. Elle se nomme Alice Milliat et l’immense majorité des Français n’en a jamais entendu parler.
Jusqu’en 2020, son nom ne figurait même pas sur sa propre tombe. 60 ans après avoir disparu dans l’anonymat le plus total, voilà un nom qui se grave désormais dans la pierre et s’invite à nouveau sur des lèvres.
Le 24 juillet 2020, le Conseil municipal de Paris décide à l’unanimité de renommer l’Arena Porte de la Chapelle. Ce sera l’Arena Alice Milliat. C’est la première fois au monde qu’une femme donne son nom à un équipement olympique !
Les JO de Paris 2024 seront historiques… Pour la première fois, les 10 500 athlètes seront répartis à parts égales entre les hommes et les femmes. On peut avoir aujourd’hui l’impression que c’est là le sens de l’histoire, mais ce serait oublier un peu vite que cette histoire, ce sont des femmes et des hommes qui la font. Qui l’ont faite.
Sans Alice Milliat, où en serait le sport féminin français ? Sans Alice Milliat, où en serait le sport féminin olympique ? Certainement pas là où ils en sont aujourd’hui.
Ces questions en soulèvent d’autres.
Comment a-t-on pu oublier une femme qui joua un rôle aussi déterminant dans l’histoire du sport français, mais aussi mondial ? Il est nécessaire de s’interroger sur cette amnésie collective.
Mais avant toutes les autres, il y a une première question qui mérite d’être posée, celle qui permet de pallier l’oubli : qui était Alice Milliat ?
Née à Nantes en 1884 dans une famille modeste, la jeune femme n’est pas particulièrement férue de sport dès le plus jeune âge. Après une courte expérience d’institutrice, elle part travailler à Londres en tant que fille au pair. C’est là que sa passion pour le sport va naître, notamment après sa découverte de l’aviron. Alice a un tempérament prompt à aller au bout des choses, en dépit des barrières invisibles qui se mettent sur son chemin… Désormais sportive de haut niveau, elle devient ainsi la première femme à obtenir un brevet Audax pour avoir parcouru 80 kilomètres à la rame.
À Londres, elle épouse un homme, Nantais comme elle, qui décède seulement quatre ans après leur union. Veuve à 24 ans, elle retourne en France et s'installe à Paris en tant que sténographe-interprète. Le combat des suffragettes pour l’obtention du droit de vote attise ses intentions de lutte pour l’égalité. Membre du Fémina Sport – un club de sport féminin – elle en devient rapidement présidente en 1915. Elle s’attelle à y diversifier les activités sportives proposées aux femmes, allant de l'aviron à l'athlétisme, en passant par le football et le hockey sur gazon. Non contente de les diversifier, elle va aussi considérablement les développer.
En 1917, au cœur de la Première Guerre mondiale, elle organise un championnat d'athlétisme interclubs. Cette même année, elle participe à la création de la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) dont elle deviendra la présidente deux ans plus tard. En 1919, elle effectue une première demande au CIO (Comité international olympique) pour inclure des épreuves féminines aux JO… et essuie son premier refus. Après avoir organisé le premier Championnat de France féminin de football, elle crée en 1920 la première équipe de France de football féminin et organise la première rencontre officielle… devant 20 000 spectateurs ! La liste de ses réussites en tant que pionnière du sport féminin est si impressionnante qu’elle mériterait de figurer dans tous les livres d’histoire du sport français…
Beaucoup se seraient résignées face aux refus à répétition du CIO et de son président Pierre de Coubertin. Ce dernier considère en effet que les épreuves sportives féminines sont « inintéressantes, inesthétiques et incorrectes », mais aussi que « le rôle des femmes devrait être de couronner les vainqueurs ». Il en faut plus pour arrêter Alice Milliat et ses desseins égalitaires pour le sport olympique. En 1922, elle organise les premiers Jeux olympiques féminins en 1922 à Paris, rassemblant 77 athlètes issus de nombreux pays.
Le CIO a beau condamner ces jeux, la marche des sportives en route. En 1928, Alice obtient une première grande victoire : les Jeux olympiques d'Amsterdam incluent enfin des épreuves féminines ! La Nantaise devient d’ailleurs à cette occasion la première femme juge pour des épreuves masculines d’athlétisme.
Malgré ces avancées, le CIO persistera dans sa réticence à inclure pleinement les femmes. Alice Milliat organisera alors les Jeux mondiaux féminins en 1930 et 1934 et continuera sa lutte contre les institutions en vue d’obtenir une parité entre sportifs et sportives olympiques. Celle-ci sera donc atteinte… près d’un siècle plus tard, lors des JO de Paris 2024.
Alice Milliat décède en 1957 après s’être retirée du monde du sport 20 ans plus tôt, lasse de tant de désillusions, d’attaques subies et d’âpre résistance d’une partie de la société. La Fondation Alice Milliat, créée en 2016, continue aujourd’hui le combat de cette femme hors du commun. Elle promeut le sport féminin en Europe et lutte pour l'égalité et la reconnaissance des femmes dans le sport.
Longtemps oublié, le nom d’Alice Milliat est désormais porté en étendard sur tous les terrains où les sportives ne bénéficient pas des mêmes accès que les hommes. Alice Milliat, c’est un nom que tous les amoureux du sport doivent connaître et partager pour rappeler ce destin de lutte pour l’égalité des droits. Un destin qui ne manquera pas d’en inspirer d’autres.
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