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richard norris williams,
survivre au titanic, refuser l'amputation, remporter l'us open

Les rêves animent les hommes et, lorsque ces derniers se retrouvent face à la mort, ils peuvent même leur insuffler la force insoupçonnée de se relever. Le rêve de Richard Norris Williams était d’embrasser le destin d’un grand champion de tennis. 

Richard Norris Williams, en train de jouer au tennis raquette à la main.

Né en 1891 à Genève, Richard Norris Williams est issu d’une famille américaine aisée. Son père fondateur de la Fédération Internationale de tennis, l’initie tôt à ce sport à raquette en vogue dans la bonne société. Les performances sportives de Richard couplées à une scolarité exemplaire lui ouvrent les portes de Harvard. Le jeune homme s’apprête justement à rejoindre sa prestigieuse école à l’issue de l’été 1912, celui de ses 21 ans. Les Williams, père et fils, retardent une première fois leur traversée de l’Atlantique à cause d’un épisode de rougeole de Richard. Le départ pour l’Amérique est finalement fixé au 10 avril 1912, à bord du plus grand paquebot du monde inauguré à cette occasion : le Titanic.

Après quatre jours de joyeuse traversée, un choc dans la nuit. Le père tempère, il a connu pareil heurt dans les eaux de Terre-Neuve. Sans conséquence. Père et fils décident donc de se rendre au bar. Sur la route, une passagère panique derrière une porte bloquée. Richard l’enfonce de l’épaule, s’attirant les foudres d’un steward qui le somme de dédommager la compagnie pour cette dégradation (anecdote reprise par James Cameron, mettant en scène le personnage de Jack). Le bar s’avérant fermé – pour cause de possible naufrage –, les deux hommes se rendent au gymnase pour se réchauffer à l’aide d’un vélo à défaut d’un whisky. 

 

Soudain, le navire se redresse, entamant sa funeste plongée. Une des quatre cheminées monumentales se brise sous son poids. Dans sa chute, elle écrase des dizaines de passagers qui disparaissent sous les eaux. Le père de Richard fait partie de ceux-là. C’était sous ses yeux.

À gauche : une photo du Titanic. À droite : Richard Norris Williams jouant au tennis, sa raquette en l'air.

Immergé dans une eau à – 2°C, Richard parvient à rallier un canot de sauvetage que trente passagers agrippent à bout de bras. Autour de lui, c’est un concert de cris effrayés, qui peu à peu s’éteignent. Quand six heures plus tard le paquebot Carpathia vient les secourir, seuls onze passagers du radeau respirent encore. 

La nuit fut une interminable lutte contre le néant pour maintenir la flamme qui vacille au plus profond de soi. Richard est en situation de grave hypothermie. Ses jambes sont violacées, littéralement gelées. Survivre, mais à quel prix ? Le médecin, redoutant la gangrène, préconise l’amputation en urgence. « Je vais avoir besoin de ces jambes », lui répond le jeune homme. Richard se relève dans une douleur inhumaine – «comme si des milliers d’aiguilles me transperçaient les jambes » – et, petit pas après petit pas, se met à marcher, marcher. 45 minutes, toutes les deux heures, de jour comme de nuit. Marcher, marcher, avec en ligne de mire ce terrain ceint de spectateurs heureux célébrant le sport, célébrant la vie.

Dans son chemin de croix, Richard trouve une précieuse épaule pour le soutenir en la personne de Karl Behr, un champion de tennis reconnu, lui aussi rescapé.

Richard Norris Williams, à gauche, et Karl Behr, à droite.
Richard Norris Williams jouant au tennis.

Quelques mois plus tard, Richard est déjà sur le cours à se hâter vers ses rêves, mu par la promesse posthume faite à son père : devenir un champion.

Un feu insoupçonné attise les jambes de ce jeune miraculé qui virevolte, du fond du cours au filet, des entraînements acharnés aux duels face aux plus grands, d’abnégation en victoires. L’étoile montante enchaîne tant et si bien les bons résultats que, dès 1913, s’ouvrent à lui les portes de l’équipe américaine de Coupe Davis. Son style est engagé, Richard est un dur au mal qui mise sur sa puissance pour asséner des coups gagnants. Ses jambes le font parfois souffrir lors des matchs qui s’éternisent. Il faut donc abréger. Réflexe de survivant qui s’est battu contre les heures. 

Richard Norris Williams  et Hazel Wightman jouant au tennis, en double.

En 1914, celui que l’on nomme Dick Williams se retrouve en quart de finale de l’US OPEN face à… Karl Behr. En trois sets, Richard dispose facilement de son aîné. Au moment de lui serrer la main, un Karl Behr complice lui glisse alors à l’oreille : « J’aurais dû les laisser t’amputer ». En finale, Richard bat en trois sets le double tenant du titre Maurice McLoughin, inscrivant là une des plus belles lignes de son admirable palmarès à venir : une seconde victoire à l’US Open en 1916, trois victoires en double dans des tournois du grand Chelem (deux US Open et un Wimbledon), mais aussi cinq Coupes Davis dont deux disputées aux côtés de Karl Behr. Ultime consécration, Richard est médaillé d’or olympique en double mixte au cours des JO de Paris en 1924, aux côtés d'Hazel Hotchkiss.

À l’issue de sa carrière sportive, Richard mènera une paisible vie de banquier. Il attendra la fin de sa vie pour évoquer le naufrage en contribuant par son témoignage à l’ouvrage A night to remember de Walter Lord, en 1962. Il gardera toujours dans son veston la flasque que lui offrit son père devant le bar du Titanic, tout juste fermé pour cause de naufrage. 

 

Chez Richard, le tennis fut à la fois le moyen et la fin, la thérapie et le rêve, l’engagement de l’homme face à lui-même et du fils face au père disparu. L’histoire de Richard Norris Williams est celle d’un homme transcendé par son sport. 

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