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GINO BARTALI,
le plus résistant des cyclistes

Il avait un visage taillé à la serpe, une volonté de fer, des mollets en acier trempé et un cœur d’or. On le surnomma « l’homme de fer », « le roi de la montagne », « le lion de Toscane », mais aussi « Gino le Pieux », puis « Gino le Juste ». 

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Gino Bartali est né en 1914 dans un petit village aux abords de Florence, dans un milieu encore rural où émerge une classe ouvrière. L’homme est le fruit d'une génétique façonnée par des vies de labeur : il est robuste, trapu, coriace de corps comme d’esprit. Il est aussi héritier d’un caractère qu’on dit typiquement toscan : une carapace rugueuse enveloppant une profonde générosité que la pudeur achève de dissimuler. 

 

À 20 ans, un violent accident subi lors d’une course émaillera le personnage d’un nez tordu et d’une voix rauque. De quoi lui offrir une gueule de boxeur et une aura virile qu’on aurait volontiers coiffée d’un Borsalino. Gino est aussi connu pour s’arrêter en haut des cols fraîchement gravis et observer ses concurrents distancés en fumant une cigarette. Un conseil de son médecin pour augmenter son rythme cardiaque extraordinairement bas : 32 battements par minute.

Équipe de football italienne faisant le signe nazi.

Gino le Pieux voue un culte à Sainte-Thérèse de Lisieux à qui il dédie chacune de ses victoires. Et Dieu sait qu’elles furent nombreuses : 184 sur le circuit pro, dont trois Tours d'Italie (1936, 1937, 1946) et deux Tours de France (1938, 1948). 

 

Ce champion charismatique, Mussolini fit tout pour le récupérer et l’ériger en emblème fasciste, à l’instar de tous les sportifs italiens d’alors. Ce fut le cas de la Squadra Azura sacrée championne du monde en 1938, en France : les joueurs effectuaient le salut fasciste et arboraient des maillots noirs, déclinaisons sportives des chemises noires de la milice fasciste. Gino, lui, ne veut rien entendre de cette idéologie politique qu’il estime contraire à sa foi. Il refuse de saluer le Duce lors de sa victoire au Tour de France en cette même année 1938. L’acte est assurément téméraire. Dix ans plus tôt, le grand champion cycliste Ottavio Bottechia, qu’on soupçonnait d’inimitié envers le régime fasciste, fut victime d’un accident mortel dans des circonstances plus que troubles.

Quelques mois après la première victoire de Gino au Tour de France sont promulguées, en Italie, les lois raciales du régime fasciste, interdisant aux juifs le mariage avec des non-juifs, l'accès à l'école publique, à la propriété foncière, au fonctionnariat ainsi qu'à de nombreuses professions.

En 1943, les Allemands envahissent l’Italie après sa signature de l’armistice avec les Alliés. Le nord du pays se retrouve administré par un état fantoche collaborationniste – la république de Salò – où cohabitent nazis et fascistes. Les déportations de juifs se multiplient, à l’image de la tristement célèbre rafle du ghetto de Rome. Le pape Pie XII se rend alors coupable d’un terrible silence...

En lien avec le rabbin de Florence, Nathan Cassuto (mort en déportation en 1945), certains dignitaires catholiques décident d’organiser le sauvetage de résistants et de juifs : ils cachent les persécutés au sein de monastères, dans l’attente de faux papiers. À la manœuvre, le cardinal Elia Dalla Costa – ancien archevêque de Florence – songe à Gino, ce champion cycliste dont il a célébré le mariage, béni l’autel du foyer Bartali consacré à   Sainte-Thérèse de Lisieux, et qu’il sait profondément hostile au fascisme. Le prélat lui soumet donc un plan…

Alors que l’usage de la bicyclette est interdit, Gino, en tenue de course, enfourche la sienne et sillonne une Italie ravagée par la guerre, engloutissant parfois jusqu’à 300 km par jour. De monastère en monastère. Lors des interpellations aux checkpoints, il n’est pas rare que les membres de la milice fasciste lui réclament un autographe. La police secrète et les nazis se méfient tout de même… 

Quand un agent zélé s’approche d’un peu trop près, Gino, sa voix rocailleuse et son charisme, le somment de ne pas toucher à sa délicate monture de compétition. Et pour cause, sont dissimulées dans le cadre des liasses de faux papiers dont la découverte lui coûterait la vie.

Gino Bartali de profil sur son vélo.
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Les suspicions s’intensifiant, le Toscan écopera tout de même 45 jours de prison pour sa trop grande proximité avec le Vatican, alors État neutre pendant la guerre. Qu’importe, les pérégrinations de Gino Bartali auront permis de sauver près de 800 vies. L’homme n’en parlera jamais, menacera même d’attaquer en justice un journal qui songeait à conter le grand récit de ses sauvetages. « Le bien, c’est quelque chose que tu fais, pas quelque chose dont tu parles », arguait-il. Aux yeux de ce croyant, « il y a les médailles qui se gagnent dans cette vie et des médailles glanées dans l’autre vie ».

 

En 1948, Gino remporte un nouveau tour de France, 10 ans après le premier. Notamment grâce à un record toujours inégalé : des victoires lors de trois étapes consécutives de montagne. Là où, peut-être, le cycliste se sent plus que nulle part ailleurs proche de Dieu.

 

En 2013, son nom fut gravé au mémorial de Yad Vashem et l’État d’Israël lui octroya sa plus haute distinction honorifique délivrée aux civils, celle de « Juste parmi les nations ». Ainsi, celui que l’Italie nommait Gino le Pieux devint, aux yeux du monde, Gino le Juste. 

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