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peace and run, 
gary muhrcke

Difficile d’imaginer qu’il y a soixante ans à peine, courir sans but, pour le plaisir, pouvait être perçu comme une parfaite excentricité. Une activité loufoque assimilée aux autres étrangetés de ceux qu’on appelle « les hippies », revendiquant la course dans les rues et les parcs comme une célébration de la liberté et du vivant, un moyen d’exprimer leur conception de la vie sans entraves, en harmonie avec leur environnement. Nous sommes dans le Bronx des années 60-70, au sein d’une société en proie à de nombreuses mutations. 

Ted Corbitt et Fred Lebow

Courir dans la ville : un peu plus que du sport ?

Certains hurluberlus – ou considérés comme tels – vont jusqu’à courir la nuit pour échapper aux regards moqueurs, voire hostiles. Parmi ces premiers adeptes du running, une vingtaine d’individus se retrouvent chaque dimanche dans les parcs de New York, aux premières lueurs du jour. 

Le petit groupe est mené par deux hommes, deux pionniers aux profils aussi différents que complémentaires. Le premier se nomme Fred Lebow. Ce Roumain de naissance, exilé de guerre devenu citoyen américain et coureur de fond, regarde l’avenir d’un œil entrepreneur. C’est sous son impulsion que le très confidentiel Cherry Tree Marathon – couru depuis quelques années dans le Bronx – deviendra le premier Marathon de New York. 

Son acolyte répond à un nom connu des palmarès de la course d’endurance : 

Ted Corbitt. Avec son expérience éprouvée en tant qu’athlète de haut niveau - il participa aux JO d’Helsinki en 1952, remporta le Marathon de Philadelphie -, Ted contribue à la professionnalisation du marathon à venir : définition des tracés, normes, certifications, etc. Ce Noir américain, petit-fils d’esclave, fonda et présida par ailleurs le New York Road Runners (NYRR), une organisation récoltant des fonds à destination d’associations dédiées aux sports et à la jeunesse. 

Des deux hommes clés de ce premier marathon new-yorkais à venir, l’un connut la guerre en Roumanie, l’autre fut confronté à la discrimination raciale toute sa jeunesse – les Blancs refusant souvent de courir à ses côtés. Dans leur sillage, l’émergence du running draine un souffle qui dépasse le cadre du sport. Tous deux partagent certaines valeurs avec cette génération hippie mue par un ardent désir de liberté et de fraternité. L’air du temps est favorable. 

Prremière édition du Marathon de New York

Un pompier qui n'avait pas dormi

13 septembre 1970 : après avoir validé leur droit d’entrée à 1 $, 127 originaux se regroupent dans Central Park pour se lancer dans ce qui sera le premier Marathon de New York. Parmi eux se tient Gary Muhrcke, un jeune père de famille de Freeport, Long Island. Il s’en est fallu de peu pour que ce pompier manque la course et pour cause, de service la nuit précédente, il n’a pas fermé l'œil. Il téléphone à son épouse à 8h30 du matin pour lui signifier qu’il compte privilégier son matelas aux 42,195 km du parcours. Sa femme lui rétorque que leurs trois jeunes enfants frémissent d’impatience à l’idée de jouer dans Central Park et d’entrevoir leur père, ce héros, le traverser si vite. Gary se présente à la table d’inscription quinze minutes avant le départ. Les dix premiers numéros de dossards sont réservés aux favoris de la course. Coureur aguerri du groupe de joggeurs, dixième du Marathon de Boston trois ans plus tôt, Gary Muhrcke revêt le dossard n°2 - le n°1 revenant tout naturellement à Ted Corbitt. 

Comme un air de changement dans l'atmosphère new-yorkaise

La chaleur est étouffante en cette fin d’été, les abandons se multiplient durant la course. Sur les 127 coureurs, seulement 55 franchiront la ligne d’arrivée. Gary remporte la course en 2 heures, 31 minutes et 38 secondes. Le cliché immortalise le coureur, visage radieux, dessinant deux signes V avec index et majeur de chaque main. Sont-ce des V de victoire ou bien ces drôles de signes adoptés depuis peu par ces hippies ? Peut-être un de chaque. 

Le ruban de la ligne d’arrivée, tenu tant bien que mal par deux enfants de tailles inégales, est sur le point d’être déchiré. Avec lui s’ouvre une nouvelle ère pour tous ceux qui revendiquent l’amour de la course à pied, ses valeurs de simplicité, de dépassement de soi et de liberté. 

Pourtant, à cet instant, Gary Muhrcke est loin de penser qu’il vient d’empreindre l’histoire de la course à pied, mais aussi plus largement celle de New York. 

« J’avais l’impression d’avoir remporté une course de plus, rien d’autre. J’étais surtout heureux d’en avoir terminé. »

L’histoire retiendra en fait plus volontiers le narratif de cette grande première plutôt que le nom du vainqueur, à l’image du titre du New York Times le lendemain : « Fireman is first to finish in Marathon » (« Un pompier arrive en tête du marathon »). Et c’est peut-être mieux ainsi. L’esprit libertaire et populaire de ce premier marathon ne se serait incarné avec la même portée symbolique si le vainqueur eût été un ancien coureur professionnel. Ce vainqueur pouvait-il afficher un meilleur visage que celui d’un illustre inconnu ? Un illustre inconnu représentant chaque New-Yorkais qui, demain, pourrait se sentir libre de courir dans un parc, comme ça, pour rien ou pas tout à fait, pour ce plaisir intense et gratuit. 

Gary Muhrcke traverse l ligne d'arrivée après avoir fini son marathon
Le Marathon de New York : un rêve américain ?

Difficile d’établir une filiation entre le Marathon de New York d’hier et celui d’aujourd’hui. Entre ces pionniers portés par des idéaux et la machine qu’est devenu le Marathon de New York. 

En cette chaude journée du 13 septembre 1970, les gobelets manquaient pour abreuver les coureurs contraints d’effectuer des détours afin de se désaltérer auprès des fontaines publiques. En 2021, 110 000 bouteilles d’eau et 2 millions de gobelets furent distribués aux coureurs. En 2019, 53 627 coureurs passaient la ligne d’arrivée. Les participants sont désormais tirés au sort parmi les 100 000 candidats annuels. Le prix de la participation est passé de 1 à 358 $. 

Le Marathon de New York est devenu un juteux business et son premier vainqueur, Gary Murchke, un éminent businessman dans les équipements sportifs dédiés… au running. Le Marathon de New York et ses pionniers n’en ont pas moins contribué à démocratiser la pratique du running dans le monde entier. Et à offrir gratuitement à ce dernier un vent de liberté.

Marathon de New York de nos jours
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