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COLIN KAEPERNICK,
le genou de la contestation 

L’histoire de Colin Kaepernick et celle de symboles.​

Eric Reid, Colin Kaepernic, Eli Harold, un genou à terre.

Né d’un père blanc et d’une mère noire, Colin Kaepernick est adopté à 5 mois par un couple de Blancs. Les premières années de l’enfance de Colin se passent à Fond du Lac dans le Wisconsin, une ville où l’on a peu l’habitude de croiser un Noir, encore moins élevé par une famille blanche. De cette période, Colin raconte se souvenir de nombreuses discriminations dont il fut victime.

 

Au lycée, les talents sportifs de Colin lui ouvrent les portent des équipes de baseball, de basketball et de football américain. En dépit de son gabarit longiligne, c’est bien vers cette dernière discipline que se porte le choix du jeune homme. Il franchira les étapes jusqu’à devenir professionnel en tant que quarterback, le « cerveau » de l’équipe. Dans une ligue qui compte près de 70 % de joueurs de couleur, ce rôle demeure pourtant endossé par des Blancs dans 80 % des cas. Colin Kaepernick semble toujours évoluer là où beaucoup ne l’attendent pas. 

 

Le 26 août 2016, indigné du traitement réservé aux Afro-Américains par la police de son pays, Colin refuse tout d’abord de se lever face au drapeau au moment où retentit l’hymne précédant le coup d’envoi d’un match. 

 

 

« Je ne vais pas afficher de fierté pour le drapeau d'un pays qui opprime les Noirs. »

Les premiers remous apparaissent chez les plus ardents défenseurs de ce drapeau. Mais pour Colin, la contestation ne fait que commencer. Rester assis n’est pas assez fort. Incarner l’indifférence n’est pas en phase avec la force de sa revendication. Au symbole de la nation, la bannière étoilée, Colin Kaepernick va donc répondre par un autre symbole, dont les racines s’enfoncent loin dans les cultures et les siècles : le genou à terre. 

Symbole d’humilité face à Dieu chez les chrétiens, d’imploration chez les Grecs antiques, de courtoisie chez les chevaliers d’Occident. La symbolique invoquée par Colin est pourtant à puiser ailleurs encore. Au XVIIIe siècle, un militant britannique pour l’abolition de l’esclavage produit un médaillon représentant un esclave noir enchaîné, genou à terre, ceint de la légende Am I Not a Man and a Brother?  (« Ne suis-je pas un homme et un frère ? »). Dans les années 60, Martin Luther King reproduit ce geste au cours d’une marche pour les droits civiques, en hommage aux victimes du racisme. C’est de ce dernier genou à terre que Colin choisit de se faire l’écho.

 

Cette photographie – prise en septembre 2016, quelques jours après le premier genou à terre – nous montre les multiples visages de la nation américaine face à un révélateur : son drapeau. La foule, arborant ce jour (par le hasard des jeux de maillots) les trois couleurs de la bannière étoilée, ne saurait mieux illustrer cette nation que l’on sait patriote. Derrière ses lunettes opaques, un policier salue (peut-être aveuglément…) le fanion. Sur la gauche de l’image, un jeune homme noir tend le poing, façon Black Panthers (dans ce contexte sportif, certains ne manqueront pas de songer au podium des JO de 1968 à Mexico). Derrière lui, un photographe, la main apposée sur le cœur, nous rappelle aussi les vertus de la communion nationale. Et au premier plan, trois genoux à terre. Les regards sont droits et fiers : cette génuflexion n’est assurément pas un acte de soumission. 

Eric Reid, Colin Kaepernic, Eli Harold, un genou à terre.
Colin Kaepernick un genou à terre.

La confrontation des deux symboles – genou et drapeau – produit une étincelle dans le pays. S’ensuit un feu courant sur les plaies ouvertes d’une nation qui, depuis ses origines, peine à conjuguer unité patriotique et lutte contre les inégalités raciales.

Les dirigeants des 49ers de San Francisco – la franchise où évolue Colin –, mais aussi tous ceux de la NFL (la ligue de football américain, réputée conservatrice) blacklistent le joueur. Une frange des supporters de sa propre équipe le rejette, allant jusqu’à brûler des maillots floqués à son nom. Au-delà, c’est une partie de l’Amérique, incarnée notamment par Trump, qui condamne virulemment l’accusé d’irrévérence au drapeau, inviolable symbole de l’unité nationale. Cette Amérique a définitivement raison de la carrière sportive de Colin Kaepernick.

Mais ce genou à terre éveille une autre Amérique. Celle d’Obama, celle qui notamment fit naître le mouvement Black Lives Matter en 2013, celle à qui Nike choisit de s’adresser en proposant en 2018 à Colin de devenir le visage de la firme. La publicité : une photographie en noir et blanc accompagnée d’un message ; « Croyez en quelque chose ». Même si cela signifie tout sacrifier.

En 2020, un nouveau genou à terre vient accroître l’envergure du combat désormais conjoint de Colin et Black Lives Matter. Un genou létal posé par un policier sur le cou de George Floyd. Le genou à terre, que Colin réintroduisit dans l’espace médiatique quatre ans plus tôt, devient alors un symbole mondial de lutte contre le racisme. 

D’autres icônes sportives américaines, puis internationales, reprennent ce geste : Lebron James, Megan Rapinoe, Lewis Hamilton, Serena Williams, Kylian Mbappé… L’exécution du genou à terre au coup d’envoi devient même encouragée par des instances du football mondial et européen (FIFA et UEFA). Le geste devient même sujet à débats houleux lors de l’Euro 2021. Certains militent pour un recours systématique au genou à terre, considéré comme un symbole universel de lutte contre toute forme de racisme ou de discrimination. D’autres pointent une banalisation, voire une récupération politique ou marketing du geste, un phénomène de mode l’évidant de sa substance.

 

Derrière le geste de Colin Kaepernick, assurément courageux et porteur de sens, subsiste en effet un genou à terre dont beaucoup se réapproprient l’image. Or un symbole ne devient un vecteur que par l’intention insufflée par son auteur. Chacun est ainsi invité à se demander : « quelle est la mienne ? ».

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