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jesse owens n'a pas humilié hitler, il a fait bien pire

Jesse Owens. Peut-être le nom le plus célèbre de l’histoire des Jeux olympiques. Dans la mémoire collective, une légende est tenace : cet exceptionnel athlète afro-américain aurait « défié Hitler » et « humilié le régime nazi » lors des JO de Berlin en 1936. Le Führer, fou de rage, aurait même refusé de lui serrer la main, tant les performances de ce sportif noir fragilisèrent la propagande racialiste de son IIIe Reich. L’image est tentante, plaisante, d’une force symbolique rare, d’une ironie savoureuse. On a envie d’y croire. Elle s’intègre parfaitement dans notre roman collectif de cette période de l’histoire. Mais elle est fausse.

 

Jesse Owens est né en 1913 en Alabama. Petit-fils d’esclave dans les champs de coton, il est élevé par des parents paysans, très modestes, au sein d’une fratrie de 11 enfants. Dès l’adolescence, il dévoile des talents athlétiques hors du commun.

En 1935, un an avant les évènements de Berlin, Jesse Owens, 21 ans, participe aux championnats universitaires américains. Malgré une blessure au dos, il va tout rafler. Le commentateur parlera des « 45 minutes les plus folles de l’histoire du sport ». 45 minutes au cours desquelles Owens établit cinq records du monde et en égale un sixième.

 

Arrivent les JO de Berlin. 18 athlètes noirs y sont conviés, soit 3 fois plus que lors des précédents JO de Los Angeles. Et l’accueil en Allemagne est loin de ce que l’on pourrait imaginer.

Aux États-Unis, les athlètes noirs sont séparés des athlètes blancs. Le pays vit sous les lois de ségrégation raciale, dites de Jim Crow, du nom de la chanson éponyme humiliant les Noirs. Au village olympique de Berlin, les athlètes sont tous mélangés. Les supporters allemands se bousculent pour obtenir un autographe de Owens. Le président d’Adidas en personne vient lui proposer un contrat de sponsoring, le premier de l’histoire pour un athlète noir.

 

Le racisme de l’idéologie nazie n’épargne évidemment pas les Noirs. Les théories raciales nazies les considèrent certes comme des êtres humains inférieurs, mais leur attribuent des prédispositions génétiques supérieures d’un point de vue athlétique. De quoi presque susciter leur admiration. Alors pourquoi, après la victoire éclatante d’Owens, Hitler ne lui serre-t-il pas la main ?

C’est en fait une histoire de protocole. Aux débuts des JO, Hitler avait fait le choix de ne saluer que les athlètes allemands. Le comité olympique lui ayant signifié que ce n’était pas conforme à l’usage, il dut choisir : serrer la main de tous les athlètes victorieux ou d’aucun. Ce dernier choix sera retenu par le Führer. Pour Owens comme pour tous les autres. Owens déclarera toutefois avoir reçu à distance une salutation chaleureuse de la part du dictateur. 

 

En revanche, un autre dirigeant refusera catégoriquement de saluer le champion américain à son retour au pays : le président Theodore Roosevelt. Il ne daignera même pas recevoir Owens en dépit de ses exploits historiques. Par peur de froisser son électorat du Sud, ouvertement raciste envers les Noirs. 

 

Ces JO sont également marqués par une terrible décision de la délégation américaine. Deux athlètes juifs américains ont été évincés de la compétition pour la finale du 4 x 100 m. Ils ont été remplacés par leurs coéquipiers noirs Jesse Owens et Ralph Metcalfe. Les États-Unis nient massivement avoir fait une concession au régime nazi. Il faudra attendre 1998 pour le gouvernement américain présente des excuses officielles aux deux athlètes juifs.

Le véritable pied de nez au racisme de ces JO est en fait à chercher ailleurs, loin des puissants et de leurs décisions. Il intervient le lendemain de la finale du 100 mètres, lors de celle du saut en longueur. Il met en scène un autre personnage aux côtés de Jesse Owens : Carl « Luz » Long. Cet athlète allemand est l’archétype de l’aryen alors fantasmé : grand, blond, puissant, patriote. C’est le grand favori de l’épreuve de saut en longueur.

 

Alors que Long domine le concours, Owens mord la planche par deux fois. L’Allemand vient à sa rencontre pour lui suggérer, très sportivement, comment ajuster sa course d’élan. Lors de dernière tentative, Jesse Owens réalise un bond de  8m06, loin devant son concurrent. L’or pour Owens, l’argent pour Long.

 

Les deux athlètes deviendront amis, entretenant un échange épistolaire nourri jusqu’à ce que Luz Long soit emporté par la Seconde Guerre mondiale. 

 

De fils d’esclave à médaillé d’or olympique, la trajectoire d’Owens est héroïque. Non pas pour cette pseudo-humiliation qu’il aurait infligée à Hitler. Mais pour son extraordinaire talent sportif et la lutte qu’il dut mener contre le racisme de son pays, les États unis, pour accomplir son rêve. 

Outre ses exploits sportifs, ce que nous devons nous souvenir des JO d’Owens à  Berlin, n’est pas lié à Adolf Hitler, mais à son amitié née avec Luz Long. Elle n’est pas sans nous rappeler celle nouée entre Peter Norman, John Carlos et Tommie Smith lors des JO de Mexico de 1968. 

 

Cette histoire, comme seul le sport sait les écrire, nous offre un de ces messages de fraternité transcendant les idéologies mortifères d’une époque. 

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