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hellé nice : femme et libre, danseuse et pilote de course, star puis oubliée...

Si Hollywood nous contait son histoire, nous la trouverions trop… hollywoodienne pour être vraie. Pourtant, cette Française a bel et bien existé. Elle est devenue une star internationale avant d’être rayée des livres d’histoire. 

Mais qui est cette jeune femme au sourire radieux trônant sur une voiture de course ? 

Le photographe parvient ici à capter le saisissant contraste entre elle et son monde. Désarmante de charisme, on ne voit qu’elle. On en oublie le bolide Bugatti emplissant la moitié de la photo. On ne remarque même pas l’homme penché près d’elle.

Derrière s’étire une fresque d’hommes et de femmes coiffés, à l’accoutrement standardisé, incarnations d’une époque dont on sait bien des conventions figées. La jeune femme et sa monture sont au contraire vectrices de mouvement et d’anticonformisme. En somme, de liberté ! 

Elle s’appelle Mariette Hélène Delangle, mais le monde entier la célébrera sous le nom de Hellé Nice. Marie Hélène Delangle naît en 1900 dans un petit village de la Beauce. Son père est receveur des postes, sa mère consacrée à son foyer. La famille Delangle compte trois enfants – autant déjà sont morts en bas âge. 

Hélène a trois ans quand, au passage de la course automobile Paris-Madrid à proximité de son village, s’impriment sur ses yeux d’enfant de drôles d’engins mécaniques qui font vibrer le sol, siffler le vent et germer des « Oooh ! » et des « Aaah ! » d’admiration dans la bouche des gens. Quand elle comprend qu’il y a des hommes extraordinaires pour les dompter depuis l’intérieur, elle s’imagine le plus simplement du monde être à leur place.

Hellé Nice au volant de sa Bugatti devant une foule de personne.
Hellé Nice souriant dans sa Bugatti.

À vingt ans, Hélène « monte à Paris ». Paris : immensité effervescence où tout semble possible. Elle ne connaît personne, mais cette grande séductrice sait posséder certains atouts à même d’entrouvrir des portes. Par exemple celles des cabarets où la lumière se délecte des corps graciles. Après avoir fait ses armes en tant que modèle nu pour artistes, elle devient donc danseuse reconnue de music-hall. Là, dans cet univers de la nuit, de la fantasmagorie, sous des regards de gens importants, de ceux qui peuvent infléchir un destin, elle devient Hellé Nice. Il y a dans ce nom un peu de son amour pour la ville de Nice, beaucoup de cette réplique d’un admirateur américain clamant à son passage dans le cabaret : « elle est nice ! ». 

Elle est certes nice, mais surtout dotée d’innombrables dons : celui de danser, celui de charmer, celui de s’entourer, celui de se faire de l’argent. L’avenir nous apprendra qu’elle en cache encore bien d’autres. À la même époque qu’une certaine Joséphine Baker, Hellé sait que la scène parisienne constitue le plus prompt des ascenseurs sociaux. 

Hellé Nice souriant assise dans sa Bugatti.

Hellé Nice multiplie les conquêtes, dont Gérard de Courcelles, dit « Couc », un ancien aviateur épris de courses automobiles. Encouragée par ce dernier, elle passe son permis de conduire en 1920, chose alors rarissime pour une femme. Au volant de belles voitures, Hellé engloutit les horizons les uns après les autres. Avec « Couc », elle sillonne l’Europe pour assister aux plus prestigieux Grands Prix du continent. Mais aussi pour étancher la soif d’adrénaline du couple : ensemble, ils dévalent les montagnes en skieurs ou les gravissent en alpinistes.

Sa carrière est au pinacle : Hellé Nice hypnotise la capitale en enlaçant les notes de Chopin, Brahms ou Ravel, au cours de sensuels ballets. Elle participe à des spectacles de premier plan, partageant notamment l’affiche du Casino de Paris avec un certain Maurice Chevalier, monument de l’époque.

En 1927, un terrible accident de ski la contraint à mettre un terme à sa première carrière. Cette même année, « Couc » décède lors d’une course. L’accident et la mort sont les spectres omniprésents d’une telle vie. S’il doit en être ainsi, Hellé Nice composera avec eux. Mariette Hélène Delangle aurait sans doute consenti – comme on l’apprenait aux jeunes femmes de son temps – à fuir le danger. Hellé Nice, elle, a bien moins peur de la mort que de ne pas accomplir ses rêves de femme libre. 

Sa vie va alors prendre un virage serré, et brutalement s’accélérer. Elle ajuste son béret blanc, repasse du rouge à lèvres, époussette ses épaules, souffle une dernière bouffée de cigarette. Ça y est, elle se lance dans sa première course en tant que pilote. Elle charme tous les circuits, d’abord par sa présence, puis par ses performances. 

En juin 1929, Hellé Nice remporte sa première victoire lors du «Championnat automobile des artistes de Paris ». Quelques mois plus tard, elle bat plusieurs records de vitesse féminins au volant de sa Bugatti Type 35, notamment grâce à une pointe à 197,708 km/h. Car oui, le grand Ettore Bugatti – fondateur de l’illustre constructeur d’automobiles hypersportives de grand luxe en Alsace – prend le pari de confier ses bolides à Hellé Nice. Mieux, il l’intègre à son équipe masculine. En 1930, débute ainsi pour la jeune femme une tournée de 76 courses aux États-Unis.

Les Américains découvrent cette élégante Française au sourire désarmant qui se permet de tenir la dragée haute aux plus grands pilotes du monde. La Beauceronne devient égérie Lucky Strike. Plus encore, elle devient une icône mondiale pour les femmes éprises d’émancipation. En 1931, elle est l’unique femme sur le circuit du Grand Prix. Son nom apparaît presque systématiquement dans le top 10 à l’arrivée. 

Hellé Nice souriant assise dans sa Bugatti.
La voiture d'Hellé Nice pendant un accident.

Cette femme-là n’a que faire des codes, elle impose les siens, sûre que sa soif de liberté et d’accomplissement ne saurait être blâmable. Partout où elle passe, elle laisse dans son sillage un nuage mêlant poussière, admiration, incrédulité, parfois médisances. Rien ne semble pourtant l’atteindre. Pas même la mort. 

13 juillet 1936, São Paulo. Après 4 heures de course, elle s’engage dans le dernier tour en se plaçant seconde derrière Manuel de Teffé, la vedette locale. Elle s’apprête à le dépasser pour, peut-être, glaner son premier Grand Prix. Manuel de Teffé se rabat brusquement. Hellé heurte une botte de paille dans un virage entrepris à 160 km/h. La Bugatti traverse la foule agglutinée aux abords du circuit sans la moindre protection. Bilan : 8 morts et plus de 30 blessés. Projetée hors de l’habitacle, Hellé semble promise à une mort certaine. Sa chute est amortie par le corps d’un militaire qui perdra la vie sur le coup, sauvant la sienne. Elle passera trente-six heures dans le coma, quinze jours complètement inconsciente. 

Beaucoup d’observateurs accuseront la conduite d’Hellé Nice. Dans ce pays pieu, beaucoup d’autres parleront d’un miracle. On estime à près de 50 000 petites Brésiliennes baptisées Hellénice au XXe siècle. 

La survivante reprendra les courses dès 1937, et ce jusqu’à la longue interruption causée par la Seconde Guerre mondiale. 

À la cessation des conflits, Hellé Nice a 45 ans et son attrait physique est jugé moindre par les organisateurs qui misaient – hélas ! – peut-être d’abord sur celui-ci. En 1949, elle se voit tout de même proposer de participer au Rallye Monte-Carlo.

La veille de la course, au beau milieu de la soirée de gala, Louis Chiron – célèbre champion automobile français – l’accuse aux yeux de tous d’avoir collaboré avec l’Allemagne nazie. Dans cette France qui mène une sinistre campagne dite « d’épuration », cette dénonciation calomnieuse sonne comme une exécution symbolique.

Une accusation infondée, proférée par un homme respecté, peut alors suffire à balayer une vie. Un homme dont on érigera une statue en son honneur à Monaco. Un homme qui donnera son nom à l’un des plus prestigieux modèles de chez Bugatti en 2016. Un homme qui avait couru en 1936 pour l’écurie Mercedes Benz, interdisant alors aux pilotes juifs de prendre place au volant de leurs voitures... 

Hellé Nice n’est plus. Reste Mariette Hélène Delangle, sans amis, sans famille. Elle avait confié son argent à son compagnon, ce dernier disparaît avec. Hélène termine sa vie dans un appartement mis à disposition par une

Hellé Nice de profil assise dans sa Bugatti.

association que l’ironie du sort nomma La roue tourne. Elle finira ses jours dans l’anonymat le plus total. À sa mort, en 1984, son nom n’apparaîtra pas une seule fois dans les nécrologies de la presse locale ou sportive. L’association fera parvenir ses cendres à sa sœur Solange qui décidera de ne pas inscrire son nom sur le caveau familial. Hélène fut peut-être coupable à ses yeux d’être devenue trop célèbre, ou trop libre.

Il faudra attendre 2004 et une biographie de l’Anglaise Miranda Seymour pour réhabiliter Hellé Nice. La biographe anglaise écrit sur les conseils d’un ami antiquaire qui parvint à mettre la main sur des carnets d’Hellé Nice. Fascinée par l’incroyable histoire de cette danseuse et pilote française, Miranda Seymour a mené un profond travail de recherches dans les archives de Berlin pour… ne rien trouver. Pas l’once d’une amorce de contact en vue d’une collaboration. Pourquoi donc la France l’a-t-elle oubliée si vite ?

Comme si une part de la société désirait étouffer cette vie dont l’héritage eut été encombrant. Il faut dire qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale et de la débâcle face aux Allemands, la virilité de la France se trouvait grandement fragilisée. L’heure n’était pas aux héroïnes qui doublent les héros.

Alors que l’innocence de Hellé Nice a désormais été démontrée, pourquoi son sourire n’a-t-il pas encore illuminé tous nos écrans ?

 

 

Qu’est-ce que le maintien de son anonymat, 40 ans après sa mort, nous dit de notre société ?

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